Première sanction d’une plateforme d’hébergement touristique en application de la loi République Numérique et premières extensions

Tribunal d’instance de Paris 6ème arrondissement, jugement du 6 février 2018, n°RG11-17-000190.

 

La Loi République Numérique a créé des règles en droit français concernant les plateformes. Certaines de ces règles sont générales comme l’obligation de fournir une information loyale aux utilisateurs (C. conso., art. L. 111-7),

et d’autres sont plus précises, comme les règles spécifiques aux plateformes qui proposent des locations de courte durée de logements meublés. Ces règles imposent des obligations à la fois aux personnes qui proposent des logements meublés sur ces plateformes (obligation de déclaration, autorisation administrative selon les cas, contrats écrits…), mais aussi aux plateformes elles-mêmes, en visant en particulier Air BnB (C. tourisme, art. L. 324-2-1)

 

Les plateformes doivent ainsi informerle loueur des obligations de déclaration ou d’autorisation, et doivent obtenir de lui une déclaration sur l’honneur du respect de ces obligations, précisant si le logement est sa résidence principale ou non. Elles doivent aussi avoir communication du numéro de déclaration, qu’il sera obligatoire de mentionner dans l’annonce relative au logement. Elles doivent également comptabiliser le nombre de nuitslouées via la plateforme, et surveiller que le chiffre ne dépasse pas 120 nuits par ans pour une résidence principale. Le chiffre peut être communiqué à la commune du logement. La plateforme ne peut plus proposer le logement une fois les 120 nuits dépassées.

Ces obligations de la plateforme doivent faire l’objet d’un décret d’application qui doit préciser les modalités de contrôle et de sanction. Ce décret se fait attendre, tandis que le décret relatif aux obligations des loueurs avait été publié en avril 2017 et que ceux, plus généraux, relatifs aux obligations de loyauté avait été publiés en septembre 2017.

Cela n’empêche pas la justice de veiller au respect de l’application de ces obligations, depuis qu’elles sont entrées en vigueur. C’est ce qui a été fait dans un jugement du Tribunal d’Instance de Paris, du 6 février 2018, dans lequel la plateforme Air BNB a été condamnée pour le non-respect de ses obligations issues de la loi République Numérique.

La solution.

Le locataire d’un logement parisien a demandé à son propriétaire une autorisation de sous-location pour proposer le logement sur Air BNB. Le propriétaire a refusé. Sans obtenir d’autorisation administrative de changement d’usage du local, il a sous-loué le logement via la plateforme plus de 120 jours par an, et a perçu 50 000 € de loyers pour 119 sous-locations illicites qui ont démarré en mars 2016. Le propriétaire du logement a assigné Air BnB en justice en estimant que la plateforme a commis des fautes engageant sa responsabilité et qu’elle doit être condamnée au remboursement des sommes qu’elle a perçues des locations illicites réalisées.

Le Tribunal constate en effet que la plateforme a commis des fautes au sens de l’article L. 324-2-1 du Code du Tourisme. Ainsi, elle aurait dû vérifier l’autorisation du loueur, obtenir l’attestation sur l’honneur, informer le loueur de son obligation de déclaration ou d’autorisation, vérifier que le seuil de 120 nuits n’était pas dépassé, même pour la période avant le 9 octobre 2016 (entrée en vigueur de la loi). Pour 2017, le seuil a été dépassé le 20 juin, mais son compte n’a pas été suspendu. Le Tribunal caractérise de cette manière des négligences et des abstentions de la part d’Air BnB qui permettent au loueur de ne pas respecter la loi.

En défense, Air BnB assure qu’il n’est qu’une plateforme « support », et qu’il n’a pas commis de faute, puisque rien ne lui oblige à réclamer une autorisation ou à la vérifier. Elle estime donc être une plateforme de mise en relationet n’est pas responsable du non-respect d’un bail d’habitation. Elle précise également qu’on ne peut lui appliquer la loi République numérique pour les faits qui ont eu lieu avant son entrée en vigueur. Enfin, la plateforme indique que le loueur a désactivé son compte le 30 septembre 2017.

Le tribunal rappelle les obligations prévues pour la plateforme par le Code du tourisme. Même s’il n’est pas indispensable de vérifier l’existence de l’autorisation, la plateforme doit obtenir une déclaration sur l’honneur, et veiller au respect des 120 jours de location par an. Air BnB n’a pas informé son utilisateur de ces obligations, elle ne peut prouver avoir donné cette information, et n’a pas reçu la déclaration sur l’honneur. De même, le logement était proposé au-delà des 120 jours autorisés pour une résidence principale. L’obligation de veille imposée à Air BnB depuis le 9 oct. 2016 doit contraindre la plateforme à faire un décompte pour 2016 et pour 2017. Enfin, Air BnB a été alertée dès le 2 mai 2017 mais le compte a continué à fonctionner.

Le tribunal considère donc que la plateforme n’a pas respecté ses obligations légales, et a fourni à son utilisateur les moyens de ne pas respecter ses obligations contractuelles. Si ce dernier demeure responsable, la plateforme l’est également.

Air BnB est ainsi condamnée à verser au propriétaire du logement la somme qu’elle a perçue pour avoir loué le bien de manière illicite. Le Tribunal estime qu’il s’agit d’une exploitation illicite du bien appartenant au propriétaire, et que les fruits qui en sont issus doivent revenir au propriétaire. Elle doit également réparer un préjudice moral causé au propriétaire et rembourser les frais engagés.

Observations.

Même s’il est probable qu’Air BnB interjette appel, ce jugement présente des intérêts non négligeables et va plus loin que la loi République Numérique dans les obligations des plateformes.

Au-delà de l’application d’une sanction aux obligations de la plateforme issues de la loi République numérique, le jugement interprète ces obligations de manière extensive, en en créant une supplémentaire dans le cas de la location de courte durée. Le jugement surprend également par le transfert de la charge de la preuve de l’obligation d’information de la plateforme : cette preuve est demandée à la plateforme elle-même alors même que c’est son utilisateur qui a prétendu ne pas avoir été informé. L’interprétation jurisprudentielle permet alors de dépasser la vision du rôle de la plateforme comme limité à la mise en relation. Son rôle va plus loin et inclut des obligations particulières. 

Le premier intérêt de ce jugement réside dans l’affirmation des obligations de la plateforme dans le secteur particulier de la location saisonnière. Le jugement rappelle d’abord les obligations issues de la loi de 2016. Il est possible de souligner une application extensive des obligations issues de cette loi, expressément vues comme applicables dès octobre 2016. Cela peut être intéressant s’agissant du décompte des jours de location, qui devait être réalisé pour l’année 2016, et devait conduire à la suspension du compte si les 120 jours étaient dépassés. L’un des apports de ce jugement se trouve donc en matière d’application temporelle de la loi. Malgré l’absence de précisions relatives aux sanctions de ces obligations, le tribunal indique également la possibilité de les sanctionner sur le fondement de la responsabilité délictuelle, faisant application d’une règle classique du droit français qui permet, en l’absence de texte spécifique, la sanction d’une obligation légale sur le fondement de cette responsabilité civile.

Outre ces obligations légales, le jugement pourrait faire également application d’une obligation non prévue par la loi de 2016, mais parfois rencontrée en jurisprudence, celle de s’enquérir du contrat liant le débiteur. Ici, il convient de revenir sur la structure des relations contractuelles pour expliquer en quoi le propriétaire d’un logement proposé sur Air BnB par son locataire peut agir contre la plateforme. La plateforme est tierce à ce contrat de location, et n’est en relation contractuelle qu’avec le locataire. Le tribunal admet pourtant l’action du propriétaire contre la plateforme, sur le fondement délictuel, en raison du fait que la plateforme a permis la violation d’obligations contractuelles du locataire. Intéressant de ce point de vue pour l’ensemble des plateformes de location saisonnières, voire même pour l’ensemble des plateformes, le jugement est pourtant silencieux sur le fondement qui lui permet d’aboutir à cette solution.

L’utilisateur d’Air BnB est en l’espèce locataire de son logement. Le contrat de bail interdit la sous-location (loi de 1989), et celle-ci ne peut être possible que sur autorisation expresse du propriétaire. La plateforme n’est pas partie au contrat de location mais doit, selon l’article 1200 du Code civil, respecter ce contrat et ne pas en compromettre la bonne exécution. Ce principe d’opposabilité du contrat aux tiers ne fait naître en principe aucune obligation pour eux. Parfois cependant, la jurisprudence a admis l’existence d’une obligation de vérification à la charge du tiers. Cette obligation se trouve dans des situations précises, et concerne le plus souvent les clauses de non-concurrence. Commet ainsi une négligence l’entreprise qui ne vérifie pas la clause de non-concurrence liant un de ses salariés avec un ancien employeur concurrent (arrêts de 1995 et 2000). Indiscutablement, l’un des apports du jugement est l’extension de cette solution en matière de contrat de location, concernant la sous-location : il tend à imposer à la plateforme une obligation de vérification concernant le contrat en vertu duquel son utilisateur détient un logement, et dans le cas où il en est locataire, l’obligation de vérification s’étend à l’autorisation du bailleur en vertu de laquelle le logement peut être sous-loué. Il ne semble pas que la jurisprudence ait consacré une telle obligation dans ce cas. Cela pourrait d’ailleurs rendre intéressants les éventuels recours formés contre cette décision. Le manquement à cette obligation permet en tout cas au propriétaire d’agir contre la plateforme, tiers au contrat de location, en raison du fait que les agissements de ce tiers qui met en ligne une annonce sur sa plateforme portent atteinte à ses droits. La conséquence sera très concrète et obligera les plateformes à demander copie de l’autorisation du bailleur pour pratiquer la sous-location dans un logement loué, et donc à avoir interrogé leurs membres sur leur qualité de locataire ou de propriétaire du logement concerné. En l’espèce, le tribunal considère que cela a permis au locataire principal de violer ses obligations contractuelles, et condamnera la plateforme à restituer les fruits qu’elle a perçu relativement à appartement, étant donné que ces fruits doivent, en vertu du droit des biens, revenir au propriétaire. 

Un autre aspect intéressant de ce jugement est l’inversion de la charge de la preuve de l’obligation d’information qui pèse sur la plateforme sur le fondement du Code du Tourisme (art. L. 324-2-1, I). Ce texte prévoit que la plateforme doit informer le loueur de son obligation de déclaration ou d’autorisation préalable mais ne prévoit pas que pèse sur elle la preuve de la bonne exécution de cette obligation d’information. L’inversion de la charge de la preuve est courante en droit de la consommation, où le professionnel doit être en mesure de prouver qu’il a bien fourni les informations légales au consommateur. Cependant, elle n’est pas expressément prévue par le Code du Tourisme. En l’absence de disposition, la règle générale aurait donc dû s’appliquer : celui qui allègue un fait doit en apporter la preuve en justice (Code de procédure civile, art. 9). Ce texte est d’ailleurs cité dans la décision. Le tribunal, constatant que l’utilisateur affirmait ne pas avoir reçu les informations précise en effet que la plateforme a manqué à son obligation en raison du fait qu’elle ne peut justifier l’avoir correctement respectée. La solution peut surprendre, et même si cette obligation d’information date d’avant la loi République numérique et était donc applicable lors de l’inscription de l’utilisateur sur la plateforme début 2016, devra inciter les plateformes à garder une trace de la transmission de l’information à chaque utilisateur.

Un autre aspect intéressant de ce jugement qui intervient comme l’un des premiers rendus sur le fondement de la loi République Numérique à l’égard d’une plateforme en ligne est le rejet d’une limitation du rôle de la plateforme à une simple mise en relation. Dans ses prétentions, la plateforme insiste pourtant sur ce point qui doit, selon elle la dispenser de tout contrôle sur les annonces. Même si cela aurait pu être intéressant, le tribunal ne qualifie pas le rôle de la plateforme, mais passe pour ne pas le limiter à la simple mise en relation de locataires de courte durée avec des propriétaires de logements puisqu’il précise que la plateforme a des obligations qui s’appliquent à la fois lors de la mise en ligne d’une annonce, mais aussi au fil des locations. L’argument consistant à minimiser son rôle pour la plateforme dans l’espoir de minimiser sa responsabilité n’est pas admise par le tribunal qui la rappelle à ses obligations légales. La plateforme doit donc avoir un rôle actif et veiller au respect des règles, même si leur non-respect n’est pas sanctionné pénalement.

Pour conclure, le jugement dépasse le rôle que veut s’attribuer la plateforme de simple mise en relation de personnes. Il applique également les obligations de la loi de 2016 et impose leur respect dès la promulgation de la loi, demandant une comptabilisation des locations pour l’année 2016 malgré le fait que la loi soit intervenue en octobre. De même, ce jugement passe pour imposer à la plateforme une obligation de vérification de l’autorisation de sous-location de ses membres lorsque ceux-ci sont locataires de leurs logements, sous peine de devoir rembourser les commissions perçues au propriétaire. Sur ces deux points, le jugement pourrait avoir réalisé des extensions à la loi République Numérique. Dès lors, l’analyse d’éventuels recours contre cette décision apparaîtra intéressante.